Photo : ©Julie Zeitoun pour Madrid Accueil
"Sans coup de cœur, il est difficile pour un Français de s’intégrer en Espagne"
Française de naissance mais Espagnole de cœur, Françoise Martinez de Velasco a fondé en 1973 Madrid Accueil, avec la ferme volonté d’en faire un lieu utile et accueillant. 50 ans plus tard, ce bel esprit perdure.
Rien ne prédestinait cette Française à vivre en Espagne, si ce n’est depuis toute petite sa passion pour ce pays. Pas d’Erasmus à l’époque, mais rien n’arrête la jeune fille au caractère trempé qui décide de partir, dès qu’elle l’a pu, apprendre l’espagnol à l’université de Valladolid.
L’idée vient de Bordeaux !
Les années passent, Françoise se marie avec un Espagnol et commence à élever ses enfants, quatre filles, sa plus grande fierté. Puis, un jour, c’est le déclic. "En 1972 -se souvient-elle-, une amie française, Claude Leicknam, me raconte que sa ville, Bordeaux, est la première en France à avoir lancé un "Accueil". En effet, le maire s’était rendu compte qu’il y avait de plus en plus de déplacements de familles vers la province et que les conjointes se retrouvaient seules et totalement dépaysées. Il lui est donc venu l’idée de créer un accueil pour informer et réconforter ces nouveaux arrivants qui débarquaient de Paris".
Les amies décident donc de reproduire ce modèle à Madrid, mais il leur faut un local. Coup de chance, l’ancien club de bridge avait un appartement vide qu’elles pourront utiliser la première année, le temps de trouver un lieu plus agréable. En effet, le chauffage manquait à l’appel et même si la chaleur humaine était bien au rendez-vous, Françoise se souvient qu’elles avaient toutes très froid !
Premières activités de Madrid Accueil en 1973
Les activités démarrent ainsi en septembre 1973 avec une première session pour le moins surprenante à l’époque. "Nous avons lancé une séance de sophrologie -raconte Françoise-. Alors… évidemment, en 1973, ce n’était pas à la mode, mais une cinquantaine de Françaises sont tout de même venues y assister ! Parmi ces personnes, il y en avait une qui faisait du yoga, une discipline également méconnue à l’époque, et elle nous a fait une démonstration en direct. J’ai encore l’image dans la tête : elle faisait le poirier autour de nous toutes, complètement ébahies. Et c’est là que nous nous sommes rendues compte que quelque chose était en train de naître".
Et pas rien, puisque Madrid Accueil est sur le point de souffler ses 50 bougies !! Cinquante ans que l’association aide les nouveaux arrivants en Espagne. "Notre objectif était d’accueillir, d’informer et d’accompagner les femmes de chef d’entreprise ou cadres supérieurs qui étaient envoyés en Espagne -explique la première présidente de l’association-. On a vite compris que ces Françaises attendaient une aide pour mieux s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie".
Pléthore d’activités pour faire connaître l’Espagne
Madrid Accueil commence alors à organiser toutes sortes d’activités culturelles, gastronomiques, sportives, des excursions, des pique-niques, des cours d’espagnol, "parce que la meilleure façon de s’intégrer est de parler la langue du pays", ou même des camps de vacances pour les enfants. D’ailleurs, l’équipe s’agrandit rapidement. Et pour arriver à faire tout cela, il faut également une forte dose d’amour pour le pays.
"Nous voulions faire partager notre amour pour l’Espagne et nous nous sommes investies à plein temps pour faire connaître ce pays, son histoire, ses gens, sa culture, ses coutumes à toutes les Françaises – raconte Françoise avec passion. D’autant qu’à l’époque l’Espagne n’était pas du tout connue, voire plutôt mal aimée ! En général, on n’est pas très amis avec son voisin et l’histoire n’a pas beaucoup aidé non plus. Ce n’était pas évident d’intégrer ces Français en Espagne."
Il y avait donc un sacré boulot à faire, d’un côté comme de l’autre ! "L’Espagnol ne sait pas se vendre, alors que le Français, oui ! -affirme-t-elle, catégorique-. Le problème des Espagnols, c’est qu’ils ont souvent tendance à se dévaloriser. Ils ont un complexe d’infériorité que l’on retrouve à tous les niveaux. Par contre, les Espagnols sont très orgueilleux et n’aiment pas ces Français condescendants, qui se sentent supérieurs. Si les Français arrivaient à comprendre la sensibilité, l’empathie des Espagnols, ça se passerait mieux".
Méconnaissance des coutumes
Et puis, même lorsque l’on cherche à s’intégrer, il y a parfois une méconnaissance des coutumes. On cherche à bien faire et pourtant, ça ne suffit pas toujours, comme l’explique Françoise Martinez de Velasco. "Les Français sont très habitués à recevoir chez eux et donc, à Madrid, ils ont commencé à inviter les Espagnols, pensant bien faire. Mais en France, on doit ensuite retourner l’invitation, alors qu’à Madrid, les Espagnols aiment sortir entre amis, mais ils préfèrent le faire à l’extérieur, au café ou au restaurant, pas à la maison. Alors évidemment, quand elles reçoivent, les Espagnoles veulent mettre les petits plats dans les grands, mettre la plus belle nappe, la plus belle vaisselle et ça n’est pas toujours pratique. Les Espagnols ne connaissent pas ce concept de manger à la bonne franquette".
Madrid Accueil peut se targuer d’avoir été le premier pays dans le monde, après Bruxelles, à créer un "Accueil" et maintenant il y en a plus d’une centaine, regroupés au sein de la FIAFE, avec toujours cette même idée d’accueillir, de protéger et d’informer. "C’est l’esprit de Madrid Accueil depuis 1973, qui a conservé ses mêmes objectifs".
Forte évolution du profil de l’expatrié français
En revanche, ce qui a bien changé, c’est le profil de l’expatrié français. "Il y a vraiment une grosse évolution entre ces Français de 1973 et ceux d’aujourd’hui -souligne Françoise-. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est de voir la quantité d’hommes qu’il y a en 2022 à Madrid Accueil !".
Les membres de Madrid Accueil étaient bien évidemment à l’époque exclusivement féminins. Le profil de l’expatrié était également différent puisqu’il s’agissait du "haut du panier, les cadres supérieurs, dirigeants d’entreprise pour la plupart. Leurs femmes avaient autour de la cinquantaine, avec des enfants qui étaient pratiquement élevés. Elles arrivaient directement de France, ne parlaient pas un mot d’espagnol, n’avaient pas non plus l’occasion de le parler à la maison, et se retrouvaient bien seules. Il y avait à l’époque beaucoup de Français, qui ne cherchaient même pas à apprendre l’espagnol, alors que maintenant c’est bien différent".
Les temps changent en effet, et les profils évoluent. "Maintenant les Françaises qui arrivent en Espagne sont mieux préparées qu’à l’époque, parce qu’elles sont d’abord plus jeunes. Maintenant ce sont aussi des femmes qui s’expatrient pour leur boulot, ou alors encore des femmes qui suivent leur mari, mais qui sont des jeunes mamans et qui n’ont pas cette arrogance et sont très désireuses de connaître l’Espagne. Ensuite, ce sont souvent des expatriés qui ont déjà voyagé à l’étranger alors qu’autrefois c’était des Français qui venaient de France. Rien à voir".
Le bénévolat : un sacerdoce !
Ce qui n’a en revanche pas changé, c’est le côté "sacerdoce" que signifie une telle association et qui a d’ailleurs valu à Françoise Martinez de Velasco la médaille de l’Ordre National du Mérite. "On peut dire que 13 ans de ma vie, je les ai consacrés à Madrid Accueil. Mon mari me disait toujours ’dommage que tu sois bénévole parce que si tu étais payée, et bien moi, je pourrais mettre la clé sous le paillasson’ ! Alors, oui, on peut vraiment dire que Madrid Accueil était mon bébé. Nous avons eu la chance au cours de toutes ces années de toujours trouver des bénévoles et je dois dire que l’équipe actuelle avec Karine est vraiment exceptionnelle".
Propos recueillis par Armelle Pape Van Dyck pour le PetitJournal Ed. Madrid – 20 novembre 2022
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